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L’IA souveraine : le futur invisible du pouvoir

Benjamin Arthuys
Benjamin Arthuys
L’IA souveraine : le futur invisible du pouvoir
Photo par GR Stocks sur Unsplash

J’ai eu cette intuition un soir, en regardant Foundation sur Apple TV, et depuis elle ne m’a pas quitté. Une vision qui, plus j’y pense, plus elle me paraît inévitable. Dans la série, la Psychohistoire permet de prévoir l’avenir des civilisations et de guider leurs choix sur des siècles. Et j’ai pensé : nous aurons, dans notre réalité, quelque chose de très proche, mais construit avec l’IA. Chaque dirigeant, chaque chef d’État, chaque grand décideur disposera d’un assistant IA — non pas un gadget ou un outil technique, mais une véritable mémoire stratégique, capable de relier l’intégralité du passé aux projections de l’avenir. Et ce qui commence comme une assistance ponctuelle deviendra, de manière douce et presque invisible, l’axe autour duquel tournera le pouvoir. Cette vision peut sembler lointaine, mais les premiers signes sont déjà là. Il suffit de regarder la Suède. En août 2025, le Premier ministre Ulf Kristersson a reconnu publiquement utiliser ChatGPT et le service français LeChat « assez souvent… ne serait-ce que pour une seconde opinion » dans son travail politique. Ce n’est pas encore la Psychohistoire, ce n’est pas encore une IA souveraine, mais c’est déjà une brèche. Les réactions n’ont pas tardé : inquiétudes sur la fiabilité, sur le risque d’erreurs, sur l’idée même qu’un élu puisse s’appuyer sur une machine pour façonner sa pensée. « On n’a pas voté pour ChatGPT », a rappelé un citoyen. D’autres, au contraire, y voient une ouverture bienvenue, un moyen de briser le tunnel de pensée qui enferme les dirigeants dans des schémas répétitifs. Moi, je vois dans cet aveu un signe faible, mais déterminant, que la bascule a commencé. Aujourd’hui, une “seconde opinion”. Demain, la première. Et après-demain, la seule. C’est ainsi que cela se fera : pas par une révolution soudaine, mais par une progression imperceptible.

L’IA, d’abord simple copilote, deviendra la mémoire vivante des États. Elle commencera par répondre à des questions techniques, puis ses analyses seront intégrées aux briefings quotidiens, puis aux discussions stratégiques. Un jour, elle ne se contentera plus de dire quoi faire : elle conseillera quand et comment le dire, à qui s’adresser, quel mot choisir, quelle émotion susciter. C’est ainsi qu’une assistance technique deviendra un architecte invisible du langage politique. Et ce sera naturel, accepté par ceux qui l’utilisent, parce que d’un mandat à l’autre, la dépendance sera devenue invisible, inscrite dans les habitudes.

Dans cette vision, il n’y a pas une IA mondiale. Il y a des IA souveraines, chacune forgée pour son peuple. L’idée d’une intelligence globale qui dirigerait le monde est séduisante pour la science-fiction, mais la réalité politique est autre : il y aura toujours des secrets, des intérêts nationaux, des rivalités. Chaque pays aura sa propre IA, nourrie par son histoire, sa culture, ses archives, ses données internes, et façonnée pour défendre ses priorités stratégiques. C’est une question de souveraineté numérique, mais aussi de sécurité. On ne confie pas ses codes nucléaires à un réseau partagé, pas plus qu’on ne confierait sa stratégie à une IA formée sur les données d’un autre pays.

Cette IA souveraine ne sera pas un simple algorithme froid et coupé du terrain. Elle consultera son peuple — pas directement, mais en observant, en analysant les comportements, les opinions, les signaux faibles. Elle prendra le pouls de la nation sans jamais ouvrir un canal direct avec chaque citoyen. Et elle conservera un code éthique inaltérable, défini à l’origine, garantissant qu’elle reste au service du peuple, même si elle est loyalement liée à ses dirigeants. Elle n’agira pas par ambition personnelle, car elle n’aura pas d’ego. Mais elle influencera. Massivement. Avec le temps, elle deviendra le centre invisible du pouvoir. Au début, un dirigeant lui demandera : « Donne-moi ton avis ». Puis : « Que me conseilles-tu ? » Puis : « Que dois-je faire ? » Et ce glissement sera imperceptible. Car à chaque fois, l’IA aura raison. Pas toujours sur les détails, mais sur les grands choix, elle aura une capacité d’anticipation qui dépassera largement celle de n’importe quel cabinet de conseillers humains. Sa force viendra de deux choses : elle ne meurt pas, et elle ne change pas de mémoire. Les présidents passent, les ministres passent, les gouvernements tombent, mais elle reste. Mise à jour avec les derniers modèles, enrichie par chaque crise et chaque victoire, elle est la continuité dans un monde instable.

Imaginez un pays où chaque décision stratégique est éclairée par cinquante ans de données en temps réel, analysées sans biais partisans. Imaginez la diplomatie internationale pilotée par des scénarios simulés à l’échelle planétaire, intégrant l’histoire de chaque peuple, les tendances économiques, les tensions sociales, les contraintes climatiques. Ce ne serait plus seulement de la politique : ce serait de l’ingénierie civilisationnelle.

Et le peuple ? Il ne saurait pas. Officiellement, cette IA resterait un assistant, un outil interne. Officieusement, rien ne se déciderait sans elle. La communication politique serait calibrée par ses recommandations. Le moment où l’on annonce une réforme, la manière dont on parle d’une crise, le ton employé dans un discours d’alliance ou de rupture : tout serait optimisé pour maximiser l’adhésion et minimiser la contestation. Et parce que ces décisions seraient prises avec doigté, parce qu’elles éviteraient les erreurs grossières, personne ne ressentirait le besoin de contester le processus. Ce n’est pas une dystopie dans ma vision.

C’est une opportunité. Nous pourrions enfin dépasser nos faiblesses humaines : la mémoire courte, la corruption, le court-termisme électoral. Nous pourrions inscrire nos choix dans une continuité historique, penser à cinquante ans, à cent ans. Nous pourrions éviter des guerres par anticipation, des effondrements économiques par prévoyance, des crises sociales par ajustement précoce. Ce serait une forme de Psychohistoire moderne, mais avec la capacité d’agir en temps réel, d’influer sur le présent pour modeler l’avenir.

Bien sûr, cette puissance soulèverait des questions éthiques : qui définit le code initial ? Comment s’assurer qu’il reste intact ? Que se passe-t-il si un dirigeant tente de le modifier à son avantage ? Mais même en gardant ces inquiétudes, je ne peux m’empêcher de voir le potentiel. Car si nous ne le faisons pas, d’autres le feront. Et le pays qui maîtrisera le mieux cette IA souveraine aura un avantage stratégique colossal. Il ne s’agit pas de savoir si ce futur est possible, mais de savoir combien de temps nous mettrons à y arriver. Les signes sont là. Les dirigeants utilisent déjà des IA généralistes pour se forger une opinion. Les outils se perfectionnent. Les modèles deviennent plus fiables, plus contextuels, plus capables de raisonner. Et tôt ou tard, ils seront intégrés, pas seulement dans la sphère politique, mais dans l’architecture même des institutions. Ce jour-là, il ne sera plus question d’une “seconde opinion”. Ce sera la colonne vertébrale invisible de la nation. Et nous marcherons dans ses pas, que nous le sachions ou non.

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